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Ensemble Sillages

La flûtiste de l'ensemble Sillages Sophie Deshayes interprètera la "Trace IV" pour flûte et électronique de Martin Matalon, que le compositeur lui a dédiéé. Nous en avons profité pour lui poser quelques questions sur l'œuvre.
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Sophie Deshayes : « Traces VI » / « Multiplicidad » pour flûte et électronique de Martin Matalon

A l’occasion du concert MEMORIAS le jeudi 14 décembre 2023 à 20h30 à l’Auditorium du Conservatoire à Rayonnement Régional de Brest métropole, dans la cadre de la programmation du Quartz, scène nationale, la flûtiste de l’ensemble Sillages Sophie Deshayes interprètera la Trace IV pour flûte et électronique de Martin Matalon, que le compositeur lui a dédiéé. Nous en avons profité pour lui poser quelques questions sur l’œuvre.

Bonjour Sophie, pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Je suis flûtiste, partenaire de l’ensemble Sillages depuis 1994. En tant que musicienne, je m’intéresse à la place de l’artiste dans la cité. Les musiques de création, la transmission en sont de merveilleux vecteurs. J’enseigne au CRR 93 et au Pôle Sup’ 93, et depuis 6 ans maintenant, je coordonne un festival de musique de chambre et de création en Bourgogne.

Traces IV pour flûte et électronique a été écrite pour vous et créée en 2007 : après plus de 15 ans, comment l’interprétation de l’œuvre a-t-elle évolué pour vous ?
C’est toujours un plaisir de revenir dans les traces (!) d’une œuvre que l’on a créée. A l’époque, nous étions aux balbutiements de l’électronique en temps réel (ou temps différé). C’était incroyable que l’ordinateur puisse nous suivre ainsi, en reconnaissant les hauteurs, intensités, registres de l’instrument. C’était aussi parfois fragile et aléatoire, et laissait peu de place à l’erreur chez le musicien ! Maintenant cette Traces VI s’interprète avec une électronique en sons fixés.

Comme toutes les œuvres réussies, elle n’a pas pris une ride !

Dans quel paysage vous replonge cette œuvre (un lieu de concert qui vous a marquée, un espace intérieur que vous visualisez) ?
Le 1er étage du Café Beaubourg lors d’un après-concert festif de l’ensemble Sillages. Martin Matalon était venu nous écouter. C’est parti d’une boutade de ma part : A quand une Traces pour flûte ? Philippe Arrii-Blachette a surenchéri et la commande s’est mise en route. Puis, bien sûr, le studio de la Muse en Circuit dans lequel l’élaboration technique s’est faite, avec la complicité d’Olivier Pasquet puis la création à l’Université de Rennes et enfin la hauteur impressionnante des voûtes de l’église St Merry à l’occasion de la sortie du disque. Une ronde des Traces avec les camarades de Sillages. Traces I pour violoncelle Séverine Ballon / Traces VII (La Carta), pour voix Donatienne Michel-Dansac / Traces V pour clarinette Jean-Marc Fessard / Traces IV pour marimba Hélène Colombotti, / Traces II, pour alto Gilles Deliège / Traces VI Multiplicidad, pour flûte Sophie Deshayes / Traces III, pour cor Pierre Rémondière.

Quelles spécificités de la flûte traversière cette œuvre met-elle en valeur ? Vous a- t-elle permis de rencontrer d’autres aspect de votre instrument ? Quelle est la sensation principale que vous souhaitez transmettre avec l’écoute de cette œuvre en concert aujourd’hui ?

C’est pour une flûte très volubile que Martin a écrit. Saviez-vous qu’il a étudié la flûte ? Dans un sens, cette pièce est dans la veine des grandes œuvres pour flûte du XXe siècle. Sa forme est très proche des pièces de concours pour l’entrée au Conservatoire (Fauré, Gaubert, Dutilleux). Un mouvement lent, un passage central rapide, très virtuose puis lent à nouveau et une coda qui s’évanouit.

Martin a apporté un soin particulier à la mise en valeur de la sonorité de l’instrument. Glissendi, sons percussifs, quart de tons, sons soufflés, un très beau choix de multiphoniques… L’innovation est dans le discours, les modes de jeux utilisés et bien sûr l’interaction avec l’électronique.

Dans la lignée de la musique française, la pièce est très élégante, d’une grande fluidité, d’une grande douceur mais avec une vie intérieure intense.

Quel effet cela vous fait-il de jouer avec l’espace mis en place par la partie électronique ? En quoi est-ce différent de jouer avec un.e ou plusieurs instrumentistes ? Qu’est-ce qui est rendu possible par ce dispositif ?
C’est grisant de transformer et d’enrichir sa propre sonorité. On part en exploration et l’on doit agir avec les éléments ! On se retrouve à la fois soliste et chambriste. On doit prêter attention à son partenaire (l’électronique), qui est aussi notre double, notre flûte augmentée, démultipliée. Quand on est en totale adéquation avec l’électronique, que ce soit du temps réel ou des sons fixés, on a une sensation démiurgique. Là un écho, là une explosion, là une boucle. On a le sentiment de provoquer soi-même ces manipulations sonores, ces travestissements, ces ramifications !

Enseignez-vous aujourd’hui Traces IV à vos élèves ? A partir de quel moment et pourquoi ?
J’enseigne au CRR 93 et au Pôle Sup’93. Il existe un partenariat avec l’IRCAM initié avec le CRR 93 maintenant dévolu aux étudiants du Pôle Sup’93. Dans ce cadre, nous avons accès à l’interprétation du répertoire mixte.

Pour autant, mettre en œuvre un travail de répertoire avec électronique au sein d’un conservatoire n’est pas chose aisée. Très souvent, on est limité à la transmission au travers de pièces solos, quelquefois en musique de chambre ou lors de projets ponctuels. Nous, interprètes mais aussi compositeurs avons encore beaucoup de travail à accomplir pour faciliter l’accès aux musiques mixtes au sein de nos établissements.

Quel(s) conseil(s) / demande spécifique du compositeur Martin Matalon gardez- vous à l’esprit et souhaitez-vous transmettre ?
Martin m’a fait découvrir les Leçons américaines : six propositions pour le prochain millénaire d’Italo Calvino. (NRF Gallimard 1985) Il s’agit d’une série de conférences à l’Université de Harvard dans laquelle Calvino partage ses propositions concernant le rôle et la fonction de la littérature du futur.  Cet « aide-mémoire pour le prochain millénaire » repose ainsi sur cinq piliers : légèreté,́ rapidité,́ exactitude, visibilité,́ multiplicité.́  Ne trouve-t-on pas dans ces attributs les caractéristiques de la musique de Martin ? A noter d’ailleurs que le nom de cette Traces VI est « Multiplicidad ». La multiplicité d’une idée musicale, qui va connaître une série de ramifications qui se déploient en structures multiples.
Martin donc est très précis dans son écriture. Il a une exigence particulière pour la qualité d’articulation et l’exactitude rythmique. Pas de rubato intempestif, pas de phrasé « cosmétique », tout est écrit. Nous avions cherché longuement par exemple pour qualifier un geste rebondi très rapide puis décéléré. On a fini par l’appeler « gettato », terme usuel emprunté aux instruments à archet.

Pouvez-vous nous confier un des exercices préparatoires que vous utilisez pour parfaire l’exécution de cette œuvre (une sorte de morning routine de l’interprète) ?

Chercher / explorer / fabriquer le son, encore et toujours. Même le passage central, si virtuose, le préluder, trouver la place de chaque note pour le faire sonner.

propos recueillis par Marie Bouchier